Chloroquine Wars

Philippe Huneman
15 min readAug 20, 2020
Les quatre formules du Professeur R

Je ne pense rien de la chloroquine, de l’hydroxychloroquine, de la néochloroquine ou de la chloroquine à venir. Je ne vais donc pas prendre parti pour, contre quoi que ce soit relativement à HCQ (comme je nommerai la famille de l’hydroxychloroquine dans ce qui suit). La chloroquine (contre le Covid19) est au fond une invention de génie du professeur Raoult: dès que nous en parlons nous sommes pris dans une géométrie si non-standard qu’il n’y a que des mauvais côtés, pas un seul bon. Je vise donc ici, ambitieusement, le moins mauvais coté de cet espace tératologique, celui où logerait ce qu’on nomme parfois un arbitre. J’énoncerai ici quelques points de vue sur cette étrange figure.

  1. Lorsqu’on présente comme souvent la guerre HCQ comme une lutte entre un druide hors système et un méchant système, mélange de Big Pharma et de politiciens véreux, on opère une déformation hallucinante de la réalité. Raoult est la big science, comme le savent tous ceux qui sont dans la carrière — et qui dit Big Science dit “big” financements, de Big Pharma dans le domaine biomédical. Champion des publications (plus de 3000!), comme il le dit lui-même dans ses vidéos de plus en plus deloniennes ou JCVandammiennes, il joue une stratégie de publication quantitative assumée, à savoir: je publie trois paragraphes, tels qu’une « letter » dans un journal de rang 12 dirigé par un collègue de mon département, et le tour est joué, voilà un article supplémentaire ! Car n’oublions jamais que la ‘publication’ est la monnaie dans laquelle on mesure la valeur des chercheurs aujourd’hui. Même s’il a récemment perdu pour son IHU les tutelles du CNRS et de l’Inserm suite à un comité d’évaluation effaré par certaines pratiques de publication et de management, pas d’inquiétude pour lui: l’argent de Sanofi a financé cet Institut, ainsi que des dotations du conseil régional, grâce aux accointances du druide avec le politicariat local. Donc déjà, Didier Raoult n’est pas le savant intuitif contre Big Pharma; il est plutôt Big Pharma contre Big Pharma.

De l’autre côté, le second protagoniste majeur récent de l’affaire, « l’étude-du-Lancet » (en un seul mot), supposée montrer que la chloroquine tue, est aussi une émanation du même système actuel de recherche, système ‘darwinien’ comme le revendique le PDG du CNRS: elle est la combinaison détonante d’auteurs susceptibles de boucler par tous les moyens une publication qui va leur apporter dans le champ de la science un surcroit de prestige monnayable institutionnellement, et d’une revue hâtive d’être le journal qui mettra fin à une polémique mondiale

“Tu l’as vu mon h index?”

2) Le discours de Raoult depuis le début de la médiatisation de HCQ ne prendrait pas aussi bien s’il ne réactivait pas des choses assez profondes: l’antimathématisme et le vitalisme qui imprègnent la médecine surtout française depuis le 18ème siècle. La figure du médecin s’est construite dès le début dans l’appel à l’intuition et le refus des généralités, c’est vieux comme Aristote (« le médecin soigne cet homme-ci, pas l’homme en général »). Cette croyance inonde le topos classique « la médecine est un art et pas une science » qu’on ressort dans la moitié des exposés à ce sujet. Quand, avec l’inspiration d’un créatif employé par LCL, Raoult dit dans une vidéo « nous, à l’IHU, on regarde la réalité, pas les big datas », le slogan n’a de sens que parce qu’il répète cette antienne. Une très vieille antienne: Xavier Bichat — un des initiateurs de la médecine clinique, de la physiologie expérimentale et de l’anatomie pathologique à Paris autour de 1800 — refusait le microscope, et Claude Bernard, le géant de la physiologie expérimentale après 1850 (et le premier médecin à jouer le labo contre la clinique), jugeait stupides les statistiques en biologie car elles ne saisissent pas l’individuel, or la vie c’est l’individuel (à la différence de la physique, où de l’eau reste toujours de l’eau). Quand dans sa tribune à l’Opinion ou au Monde Raoult parle des « méthodologistes », mot qui n’a aucun sens, en vérité il rallume ce conflit-là, qui fut constitutif, socialement, de l’image de la médecine : l’artiste-médecin contre le laborantin ou le mathématicien. Ceci explique aussi le soutien que lui prodiguent un certain nombre de médecins de ville, qui en fait n’y connaissent pas grand chose à l’épidémiologie, à la génomique ou aux virus — des sciences bien éloignées de la pratique médicale.
Lorsque — indépendamment de toutes les critiques justifiées envers les statistiques de l’étude du Lancet — Raoult disait « c’est du big data cette étude, ce n’est pas la réalité », l’argument est absurde, mais passe facilement car on ignore souvent que presque tout ce que sait la biomédecine est connu par des analyses manipulant des myriades de données, prises sur des gens qu’on ne voit absolument pas — quand ce n’est pas par des essais randomisés ou des tests sur les animaux. Par exemple quand on énonce « la mutation du gène X est impliquée dans le diabète », personne n’a étudié sous toutes ses coutures un diabétique, on a plutôt regardé 80 000 dossiers, génomes inclus, et dressé des statistiques complexes. L’étude anti-HCQ du Lancet faisait donc quelque chose de très banal, sauf qu’elle l’a mal fait — et en réalité, elle ne l’a sûrement pas fait puisque les données étaient probablement inventées. En revanche, affirmer à son encontre « ça, c’est des big data, mais nous, on regarde les vrais humains », revient à jeter une bonne partie de la littérature médicale moderne au panier.

“On m’appe-elle l’idole des jeunes”

3) Ainsi, la force rhétorique de Raoult consiste à dire « je regarde les individus, pas les chiffres, et les individus chez moi guérissent ». Or pour savoir si le traitement X guérit la maladie A, il faut évidement regarder autre chose que Mr P, malade de A, car assez souvent Mr P guérit tout seul — et encore davantage dans le cas de la Covid, car les pourcentages de guérison spontanée ici sont énormes: coronavirus n’est pas peste. Dit techniquement: l’individu n’a aucun privilège épistémique pour dire qu’il a été guéri par le traitement X. Pour le savoir il faut au moins des statistiques. Or les statistiques, sont contre-intuitives, les gens normaux ne savent pas les manier. Ainsi, pour prendre une cas suremployé dans la littérature en psychologie cognitive: si un test présente 10 % de faux positifs, et la prévalence de la maladie est de six pour cent dans la population , et si vous êtes positif, alors vous avez peu chances d’avoir réellement la maladie (une probabilité de inférieure à 40% de chances, donc loin de 100% de chances) [1]. Étonnant, non?

Donc les gens « normaux » (i.e. les gens vivant hors d’un département de statistiques) ne peuvent pas comprendre facilement les débats autour d‘un traitement. D’où l‘absurdité de les faire témoins ou protagonistes d’une controverse. Dans ces conditions, quand Raoult va à la télé « répondre au Lancet », comme on a présenté une des émissions qui l’invitait, la chose est catastrophique. On n’en appelle pas au public pour régler une question scientifique, c’est la règle, tout simplement parce que le public — qui inclut les scientifiques non spécialistes de la question — ne peut pas la comprendre.

Il en va ici comme du rugby. Le profane comme moi ne connait pas les règles: s’il regarde une mêlée, il verra juste des costauds qui se tapent dessus, et aura de la sympathie pour le plus cool apparemment, puisqu’il ne voit pas ce qu’il est attendu, légitime, brillant, prescrit ou proscrit de faire; or il existe bien des règles. De même ici, les gens qui ignorent les règles de la discussion/publication scientifique dans le domaine, s’attacheront pour des raisons illogiques aux personnages les plus charismatiques.

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Dans la mesure où Raoult a initié ce glissement vers les médias, alors qu’on ne savait rien sur la choloroquine, il détient une part majeure de responsabilité dans ce désastre, même si tout un système médiatique a embrayé avec délectation. Car cet imbroglio représente aussi la collusion de trois systèmes relativement défectueux — production scientifique, médias, politique — mais auparavant relativement indépendants.

4) En outre, dans cette affaire on mélange toutes les questions, comme c’est devenu clair avec la réception de l’article défaillant du Lancet. Il y a au moins deux affirmations distinctes et indépendantes discutées dans la dispute sur HCQ : « un traitement à base de chloroquine a un effet positif sur l’infection au SARS Cov-2 »; « ce traitement augmente le risque de décès des patients ». Les négations de ces deux affirmations sont parfaitement compatibles entre elles, rien n’exclut donc qu’elles puissent être fausses toutes les deux. Par conséquent opposer l’une à l’autre, comme cela est devenu courant à la sortie de l’article du Lancet et dans les deux camps, revient à tirer des inférences fausses à partir de ce qu’on croit savoir sur l’une de ces affirmations. Cela augmente encore le degré d’agressivité dans le débat.

Concernant la première affirmation, sans même regarder les multiples articles ou preprints qui vont plutôt contre l’idée que la chloroquine guérit, le fait que les études en faveur de cette affirmation ont été retirées, ou bien marquées comme problématiques, ou encore sont restées des preprints, donne certes un avantage aux études sceptiques envers HCQ (parues dans le Lancet, BMJ, ou le NEJM, ou la dernière étude Discovery, qui porte bien sur la première affirmation énoncée et non la seconde). On peut tenir pour démontré le fait que HCQ n’est pas un remède miracle, c’est-à-dire universel ou absolu, au Covid 19. Mais on peut difficilement dire que la controverse est close pour toujours.

Auteurs du papier du Lancet (photo exclusive)

5) Beaucoup plus généralement, les sociologues des sciences savent bien que, comme Paris, une controverse scientifique ne finit jamais. En tout cas, pas pour des raisons purement scientifiques. Parfois elle se dissipe comme une épidémie de peste, parfois elle s’achève par la mort des protagonistes. D’autres fois, la fin vient d’ailleurs que de la logique combinée à l’expérience, qui seraient selon les positivistes les deux ingrédients uniques et essentiels de la science.
Logiquement parlant, face à une infirmation empirique d’une hypothèse H (à savoir, les données acquises D n’égalent pas la prédiction faite en supposant une hypothèse H), on peut toujours dire que H n’était pas ce qui est infirmé, ou bien recadrer H, ou bien mettre en question le protocole de recueil des données parce qu’il n’était pas exactement ce qu’il fallait pour tester la prédiction, etc.. On peut ainsi conclure que l’hypothèse qui vient d’être infirmée n’avait, en fait, pas été bien formulée; ou qu’une nouvelle formulation de H échappe à l’infirmation. L’infirmation ne clôt donc pas par nature une controverse entre tenants de H et opposants à H; elle induit plutôt une redistribution des cartes, pour une bataille qui peut s’étaler encore sur de nombreux épisodes, ou même durant moult saisons.
Dans le cas de HCQ, le fait que personne ne définit exactement ce qu’on veut tester implique que toute réfutation ou corroboration peut être contestée. Les fans de HCQ disent ainsi que les soi-disant infirmations des prédictions de Raoult sont fausses car on n’a pas exactement donné le médicament au moment où Raoult dit (parfois) qu’il le faut, ou aux bons patients, ou selon les bonnes doses. Car le ‘protocole Raoult’ évolue selon les déclarations, et reste fondamentalement flou : quoi donner ? quand ? à qui ? Aujourd’hui, si de nouvelles études à la méthodologie apparemment correcte douchent encore les espoirs des partisans de la première heure, une métanalayse de nombreuses analyses statistiques dans le British Medical Journal (2020) conclut entre autres que “Three drugs might reduce symptom duration compared with standard care: hydroxychloroquine (mean difference −4.5 days, low certainty), remdesivir (−2.6 days, moderate certainty), and lopinavir-ritonavir (−1.2 days, low certainty). Hydroxychloroquine might increase the risk of adverse events compared with the other interventions, “ [2], autrement dit que HCQ est moins mauvais que les autres pour réduire la durée des symptômes Covid dans certains cas… Ce dont Raoult et ses épigones se prévalent depuis quelques jours massivement sur leurs réseaux sociaux.
Ces fans de HCQ qui ne lâchent rien illustrent ce fait en réalité très général de la possibilité de toujours prolonger une controverse. (Certes les énoncés formels, purement mathématiques, sont totalement corroborables ou infirmables. Ils pourraient clore une controverse. Mais en réalité, comme ils expriment généralement une hypothèse, s’ils sont infirmés on peut toujours dire qu’ils ne la traduisaient pas comme il faut.)
C’est pourquoi, très souvent, les controverses se terminent par l’intervention de causes qui ne sont pas uniquement des données combinées à des arguments logiques. C’est pourquoi aussi les classiques de la sociologie des sciences sont souvent des études de controverse. L’un des travaux célèbres de Bruno Latour traite de la controverse entre Pasteur et Pouchet sur la génération spontanée (autrement dit, la vie émergeant spontanément d’une matière non vivante), supposée avoir mis fin définitivement à la croyance irrationelle en la génération spontanée [3]. On peut ne pas adhérer à la thèse de Latour selon laquelle c’est en recrutant des « alliés » (humains et non-humains) que Pasteur fait triompher son cas. Il reste que le simple fait de trouver un vainqueur à cette controverse n’est pas évident: au fond, tous les scientifiques croient aujourd’hui à une sorte de génération spontanée puisqu’ils recherchent l’origine de la vie — même si Pasteur avait raison sur l’existence de microorganismes requise pour qu’une matière ordinaire fasse de nos jours apparaître du vivant. Reste que l’énoncé pastorien n’est pas universel sinon il n’y aurait pas de vie sur Terre…

Ah, l’époque où nos chercheurs trouvaient…

Je ne veux évidemment pas dire que la science n’avance pas. Simplement, je soutiens qu’il existe toujours un écart entre la formulation générale d’une controverse — « y-a-t-il une hérédité des caractères acquis ? », « le type de l’adulte est-il préformé dans l’oeuf ? », « un vivant peut-il sortir du non-vivant? » « HCQ guérit-elle le Covid? » — et les réponses que l’on peut scientifiquement établir. (« L’ADN porte une information génétique », « le développement ne déplie pas une forme infiniment repliée mais repose sur des processus physico-chimiques complexes », « toute fermentation ou putréfaction requiert la présence de germes », « HCQ n’améliore pas de manière statistiquement significative les chances de guérir du Covid lorsqu’elle est donnée à des patients de tel groupe à tel moment sous tel dosage »). Du fait de cet écart, des connaissances se construisent, certes révisables mais fiables, alors même que la controverse elle-même peut rester indéfiniment ouverte. Le plus souvent un ensemble d’‘alliances’, comme dit Latour, entre savants et autres instances, permettra de la clore, au moins provisoirement. Ou simplement, adviennent des considérations d’un autre ordre qui font que l’investissement cognitif se détourne, comme la peste se détourne de la cité d’Oran dans le roman de Camus.
Par conséquent il serait naïf de penser qu’un article dans une bonne revue scientifique fermera pour toujours la controverse HCQ. Cela n’arrivera jamais. Elle s’éteindra d’elle-même simplement, probablement quand l’épidémie s’éteindra.

“Alors pose-toi les bonnes questions.”

6) Pour finir, je souligne deux choses un peu plus générales.

a) Il existe un énorme problème en quelque sorte collatéral et propre à HCQ, dont je n’ai pas encore parlé et dont on parle peu, étant tous centrées sur le coronavirus.
D’abord, puisqu’on ne sait pas si HCQ guérit, en vertu de la différence de coût entre effets négatifs et effets positifs on ne doit pas en systématiser l’usage (cette différence signifiant ici: si X a un rendement négatif avec une probabilité égale au moins à celle du rendement positif, alors il ne faut pas donner X, parce que ‘primum non nocere’).
Ensuite, l’épisode quasi-délirant qui a entouré HCQ eut deux effets collatéraux : le manque de chloroquine pour les gens qui en ont besoin dans le cadre d’un traitement régulier (comme les patients atteints du lupus); la pénurie de chloroquine pour le traitement du paludisme en Afrique (certains parlent même d’une augmentation des morts du paludisme à cause de cela). On a ici un argument très net pour dire qu’il faut pas prescrire HCQ pour le Covid : le coût négatif (collatéral) est avéré, l’effet positif est incertain.

b) Personne n’a rien établi de décisif sur l’HCQ, mais tout le monde, raoultiens comme antiraoultiens, a démontré qu’il y avait quelque chose de pourri au royaume de la science. Non seulement les lobbys et Big Pharma — ça, on savait déjà — mais aussi et surtout la transformation de la science en champ de « l’excellence », c’est-à-dire en un jeu de compétition généralisée modelé sur la structure de la ligue 1 de football. C’est le modèle de Petit (du nom du PDG du CNRS, celui-là même qui vante le Darwinisme social dans la recherche). Et aussi bien Raoult avec ses 3000 publications, que ses ennemis du côté du Lancet, eux aussi des locomotives de la publication (il suffit de regarder leur h-index, chiffre bureaucratique mesurant le poids des gens dans ce système), sont des bons petits Petitistes. Leur activité conjointe, ces dernières semaines, a montré avec éclat que cette politique scientifique est une totale catastrophe — avec pour résultat d’éloigner encore davantage nos concitoyens de la science, et d’accroitre leur défiance vis-à-vis d’elle.

Le monde de la recherche version 2020. Courtesy of A. Petit.

Cette semaine, un joli canular a fait parler de lui. Des biologistes et philosophes franco-suisses ont fait publier dans le Asian Journal of Medicine and Health un article défendant l’usage de HCQ pour les accidents de trottinettes. Bourré de gags et d’absurdités, le texte n’était évidement pas publiable dans une revue scientifique sérieuse. Or ce journal est celui où estparu l’un des derniers articles pro-HCQ — largement relayé dans la presse française (l’une des coautrices, médecin, étant aussi députée).
On savait depuis quelques années que ces revues bidon [4], prêtes à publier tout manuscrit sans le lire pour gagner quelques milliers d’euros payés par les auteurs, acceptent n’importe quoi (certains y ont publié des suites d’insultes). Mais le canular des trottinettes démontre surtout à quel point ces revues, issues d’une monumentale pression de “publish and perish“ à l’échelle du monde, parasitent le débat scientifique. Ce n’est pas seulement pathétique et drôle comme on le disait il y a quelques années, c’est dangereux, puisque dans un débat scientifico-politique massif aujourd’hui on en vient manifestement à se référer à de telles revues…

The British Journal of Trotinette Studies. (Home for Innovative Research).

Pour résumer et conclure —
des journaux avides de sortir l’étude qui débinera ou prouvera HCQ et ainsi l’emporter sur les journaux concurrents (Lancet contre NEJM contre etc.); des chercheurs assoiffés de la gloire que représente non seulement un article de plus, mais aussi la publication qui fera parler d’eux dans le monde entier; en-deçà, un système de recrutement scientifique qui privilégie de plus en plus les gens à grosse surface médiatique… et donc une pression de publication déjà folle, intensifiée davantage par le fait que « nous sommes en guerre » et qu’il faut donc aller très vite pour guérir la maladie… Voilà les ingrédients qui ont fait ce désastre combinant HCQ, le druide Raoult, les pieds nickelés de Surgishpère et l‘incorruptible Lancet — désastre culminant dans le délectable canular des trotinettes …
La seule leçon à tirer est donc celle-ci : lever le pied; baisser la pression et ralentir ces cadences infernales. Diminuer aussi la compétition à tous les niveaux, parce qu’il faut être aveugle pour ne pas voir dans ce qui vient de se passer une exacte réalisation du fait que l’incitation à l’excellence est en réalité une incitation à la fraude et à l’odieuseté.

Assez de grosses données ! De la vraie science pardi !

Notes

[1] En appliquant la formule de Bayes on trouve P(malade|positif)=P(positif|malade)*P(malade)/(P(positif|malade)*P(malade)+P(positif|sain)*P (sain))=(1*0,06)/((1*0,06)+(0,1*0,94))=0,39

[2] Siemieniuk Reed AC, Bartoszko Jessica J, Ge Long, Zeraatkar Dena, Izcovich Ariel, Pardo-Hernandez Hector et al. ëDrug treatments for covid-19: living systematic review and network meta-analysis“ British Medical Journal (2020) 370 :m2980

[3] Latour B. (1984) [2001] Les Microbes: guerre et paix, suivi de Irréductions. Paris: La Découverte. La ‘génération spontanée’ est l’idée qu’une matière inanimée peut, avec le temps, voir émerger en elle des organismes. Par exemple, le grand chirurgien Ambroise Paré au 16ème siècle écrivit des pages célèbres sur la manière de faire naître des souris en laissant trainer des chiffons (ou presque). Aujourd’hui rangée au placard des croyances absurdes comme le géocentrisme, le phlogistique ou la préexistence des germes, la génération spontanée constituait aux 17 et 18ème siècles une idée importante pour les partisans des Lumières et de la rationalité puisqu’elle diminuait le rôle de l’action divine dans la nature.

[4] Par ex. Huneman Philippe, « L’activité débilitante de la science contemporaine », Zilsel, 2018/2 (N° 4), p. 153–178. DOI : 10.3917/zil.004.0153.

Remerciements

A Sébastien Dutreuil, Olivier Filippi, Alice Lebreton Mansuy, François Marchal, Pierre Reignier, Arnaud Saint Martin — pour toutes leurs discussions, critiques, remarques et suggestions.

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Philippe Huneman

Philosophe, CNRS. Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques (Paris I Sorbonne). Site pro: www.philippehuneman.wordpress.com